La planète entière raffole des produits de la mer pêchés dans les eaux chaudes, qu'ils fassent partie du régime quotidien ou que l'on en déguste à une occasion spéciale. Malheureusement, il arrive que leur consommation engendre le picotement ou l'engourdissement des doigts et des orteils, des nausées, des douleurs abdominales, une sensation de brûlure au contact du froid, voire une intoxication.
Chaque année, quelque 500 000 consommateurs dans le monde sont victimes de la ciguatera après avoir ingéré du barracuda, de la murène, du vivaneau ou du mérou blanc. On doit cette intoxication alimentaire aux ciguatoxines libérées par les algues dont se nourrissent ces poissons de belle taille. La menace est invisible, car, si la toxine s'avère inoffensive pour l'animal, elle ne l'est pas pour ceux et celles qui en dévorent la chair.
Bien que les éclosions de ciguatera se circonscrivent dans la mer des Antilles, l'océan Indien et le Pacifique, on en a récemment rapporté quelques cas dans les îles Canaries, l'est de la Méditerranée et l'ouest du golfe du Mexique. L'algue qui produit des ciguatoxines dans le Pacifique a été identifiée il y a déjà plusieurs années, mais pas celle à l'origine du problème dans les Antilles, et ce, malgré près de trente années de recherches sur la question.
La chasse au producteur antillais de ciguatoxines a toutefois pris fin en 2023 quand des scientifiques du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et leurs collaborateurs des États-Unis et de Norvège ont finalement déniché la proverbiale aiguille dans la botte de foin. En effet, après avoir laborieusement glané et analysé des algues des années durant, ces chercheurs ont tourné leur attention vers une espèce qui avait été prélevée dans les eaux environnant les îles Vierges américaines. Les scientifiques du CNRC ont finalement identifié la nouvelle ciguatoxine algale et, en tandem avec leurs collaborateurs, en ont illustré le métabolisme chez les espèces à la consommation desquelles on associe la ciguatera.
Selon Pearse McCarron, chef de l'équipe de la métrologie des biotoxines, au CNRC, il s'agit d'une véritable percée scientifique dans le domaine. « Grâce à cette découverte, on pourra mettre au point des méthodes et des étalons qui aideront les laboratoires d'analyse des aliments à surveiller et à gérer la ciguatera, affirme-t-il, ce qui contribuera grandement à résoudre le problème et, espérons-le, à prévenir la maladie chez l'être humain. »
Un océan de recherche
« Nous n'en sommes pas à notre premier coup d'éclat dans la recherche sur les toxines, loin de là, mais nous nous sommes attaqués à certaines d'entre elles, plus complexes, telles les ciguatoxines, que depuis peu », précise M. McCarron. Par bonheur, en 2018, le CNRC s'est lancé dans des recherches concertées en vue de régler ce problème majeur dans le monde.
Une première étape, déterminante, a été la participation à un projet collaboratif sur les ciguatoxines avec les experts de l'Université du Sud de l'Alabama, de l'Université du Texas à Austin, de l'Université des îles Vierges américaines et de l'Institut de médecine vétérinaire de Norvège.
Les équipes des États-Unis ont prélevé des algues dans les récifs coralliens des Antilles, ont conçu un milieu pour les cultiver, puis en ont déterminé la toxicité. Le CNRC a pris le relais en établissant le profil chimique de la toxine et en identifiant celle-ci afin d'en préciser la structure. Enfin, les chercheurs norvégiens ont incubé des enzymes pour s'assurer que la toxine de l'algue se transformait bien en celle qui contamine les poissons.
Elizabeth Mudge, agente de recherches spécialisée en science et en chimie alimentaires, qui s'est jointe au CNRC au début de projet, et Chris Miles, son collègue du CNRC, ont opté pour une approche ultramoderne en métrologie dans le cadre de cette enquête. Quand leurs collaborateurs leur ont fait parvenir les variantes des toxines, par exemple, ils ont recouru à la spectrométrie de masse à haute résolution et à des techniques novatrices en chimie pour préciser le profil chimique de l'algue. Et, « Eurêka! », la mystérieuse ciguatoxine, jusque-là inconnue, a enfin été identifiée.
« Nous devons cette percée à l'approche diversifiée que nous avons choisie et à la multidisciplinarité de l'équipe », estime Mme Mudge. « Les résultats de nos travaux, qui ont été publiés dans un article du périodique Chemosphere (en anglais) mèneront au développement de méthodes qui nous éclaireront sur la distribution de la toxine dans le réseau trophique et déboucheront éventuellement sur des programmes de surveillance pour protéger les consommateurs. » La salubrité des aliments s'en trouvera nettement renforcée.
Vers une meilleure salubrité des aliments
Selon M. McCarron, le CNRC poursuivra sa collaboration jusqu'au développement des outils de la prochaine génération qui, en métrologie, permettront de maîtriser la situation. Le CNRC coopèrera aussi à la création des matériaux de référence certifiés, dont les laboratoires d'analyse et de recherche, du Canada et d'ailleurs, se serviront pour doser les toxines.
« Le travail d'équipe multidisciplinaire est une approche qui met en commun les talents et les capacités du groupe de la métrologie des biotoxines avec ceux de ses collaborateurs pour s'attaquer à un problème dont la solution échappe depuis longtemps aux chercheurs », conclut le scientifique. Une brillante formule, avec succès à la clé!
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