Il peut être intimidant de se trouver dans un nouvel environnement, de rencontrer de nouvelles personnes ou d'essayer une nouvelle activité. Pour se calmer, il suffit souvent de prendre une grande respiration. En effet, prendre un peu d'air peut vous aider à briser la glace de manière plus naturelle et confiante. Mais saviez-vous que la même idée s'applique lorsqu'il est question de littéralement briser la glace?
Navigation sur des eaux couvertes de glace
La navigation maritime est un service essentiel pour la livraison de marchandises à de nombreux Canadiens. Mais la navigation dans les eaux canadiennes peut s'avérer difficile – la présence de glace exige une planification adéquate de l'itinéraire et des mesures de sécurité.
Pour relever ce défi, la flotte de la Garde côtière canadienne est équipée de brise-glace qui sont chargés de libérer la voie pour les autres navires. Ils ont également la capacité de secourir les navires qui se retrouvent parfois coincés dans la glace ou qui luttent dans des conditions difficiles, incapables de se retirer ou de reprendre leur route. Ces brise-glace sont essentiels au maintien d'opérations actives et sûres, comme l'aide à la livraison de marchandises aux communautés côtières et arctiques canadiennes. Toutefois, lorsque la glace est épaisse, la friction entre la coque et la glace peut accroître la résistance, rendre les manœuvres plus difficiles et augmenter la consommation de carburant et les émissions.

Le navire de la garde côtière canadienne Henry Larsen navigue dans des eaux glacées.
Afin d'améliorer la sécurité et la performance des opérations dans les glaces, et de réduire l'empreinte carbone de la flotte canadienne, la Garde côtière canadienne a fait appel à l'expertise du Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Ensemble, ils évaluent la performance d'alimentation en courant du brise-glace Henry Larsen de la garde côtière canadienne avec un diffuseur de bulles d'air.
Le diffuseur de bulles d'air envoie de l'air à basse pression par des buses situées dans la coque du navire, sous la ligne de flottaison. Le principal avantage de ce système est qu'il réduit la friction entre la coque et la glace en lubrifiant la surface de la coque avec de l'eau agitée par les bulles d'air. Le diffuseur peut fonctionner comme un propulseur d'étrave dans les zones étroites pour enlever doucement la glace près du quai, ou servir à élargir le canal derrière le brise-glace lorsqu'il escorte d'autres navires. Il peut également aider à réduire le bruit et les vibrations à bord causés par l'interaction entre la coque et la glace.
« Nous avions des preuves anecdotiques que le diffuseur de bulles d'air était utile sur les brise-glace existants. Cependant, il n'y avait pas de données permettant d'effectuer un travail d'ingénierie détaillé et de bien évaluer la performance du système pour les nouvelles classes de navires. Compte tenu de notre relation fructueuse avec le CNRC dans le passé, il était naturel de travailler avec son Centre de recherche en génie océanique, côtier et fluvial afin d'élaborer un plan pour recueillir les renseignements dont nous avions besoin », explique Catherine Le Blanc, ancienne gestionnaire du projet de développement des capacités futures pour l'acquisition de navires, la construction navale et les matériaux, à la Garde côtière canadienne.
Évaluation d'une nouvelle technologie
Avant d'installer des diffuseurs de bulles d'air sur la nouvelle flotte de brise-glace de la Garde côtière canadienne, des experts du Centre de recherche en génie océanique, côtier et fluvial du CNRC ont construit une maquette à l'échelle du Henry Larsen de la Garde côtière canadienne, mais sans diffuseur. Une fois la maquette fonctionnelle, elle a été testée dans le réservoir d'eau claire de 200 mètres et le bassin à glace de 90 mètres du CNRC, situés à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador). Cette installation de recherche est entièrement équipée pour recréer et simuler des conditions réalistes d'eau libre et des conditions arctiques ou rigoureuses, fréquentes au Canada. Le bassin à glace peut atteindre des températures aussi basses que -25 °C et a la capacité de produire des couches de glace jusqu'à 76 mètres de long, 12 mètres de large et 200 millimètres d'épaisseur. Cela permet d'évaluer les performances d'alimentation d'un navire à la fois en eau libre et dans la glace. Les données recueillies lors de ces essais ont servi de base de comparaison avec le modèle équipé diffuseur de bulles d'air.
Les experts du CNRC ont ensuite procédé à des essais dans l'eau sur le Henry Larsen de la Garde côtière canadienne qui navigue dans le golfe du Saint-Laurent en hiver et dans l'Extrême-Arctique canadien en été et en automne. Le navire était équipé du diffuseur de bulles d'air et d'une instrumentation de pointe comprenant des unités de mesure optique de la poussée et du couple (capteur optique, TT senseMD), des données opérationnelles du navire, des données visuelles ainsi que des données environnementales.
Les essais ont eu lieu en mars 2022 et ont duré 13 jours, au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Les résultats ont montré que le diffuseur de bulles d'air permet d'atteindre des vitesses plus élevées en raison de la réduction de la friction entre la coque et la glace, des accélérations plus importantes, une capacité d'éperonnage avancée et une meilleure propulsion dans certaines conditions de glace. Les résultats ont également montré que le système peut être utilisé comme un propulseur d'étrave ou pour élargir un canal navigable lorsqu'il accompagne d'autres navires.
Pour appuyer cette étude ainsi que les études futures sur l'autonomie marine, le CNRC a retenu les services de C-CORE, une entreprise canadienne spécialisée dans l'ingénierie des glaces, l'ingénierie géotechnique et la télédétection, pour déployer des capteurs de connaissance de la situation, notamment des systèmes LiDAR, des caméras stéréo, des caméras panoramiques et des capteurs électromagnétiques et acoustiques.
« Chaque fois que nous avons l'occasion de monter à bord d'un navire avec la Garde côtière canadienne et d'effectuer des essais en eau libre, c'est vraiment motivant pour nos équipes de recherche. Nous aimons collaborer avec la Garde côtière canadienne pour améliorer la sécurité et l'efficacité de ses opérations maritimes dans les conditions difficiles du Canada. Nous sommes très fiers de participer à cet effort et de contribuer à la prochaine génération de navires de la Garde côtière canadienne », déclare Fraser Winsor, chef d'équipe du programme Océans du Centre de recherche en génie océanique, côtier et fluvial du CNRC.
Rester au frais et continuer
Cette étude a montré que le diffuseur de bulles d'air est un outil précieux pour la personne qui opère le brise-glace. Les futurs essais sur maquette du CNRC aideront à déterminer si l'orientation du diffuseur peut être optimisée pour améliorer davantage la performance du navire. Le CNRC envisage également d'étendre ces études en utilisant des solutions de rechange électriques; en étudiant la capacité de contrôler la puissance du diffuseur de bulles d'air avec une gamme de réglages allant de faible à élevé, ce qui permettrait des opérations plus précises; et en évaluant la consommation d'énergie en temps réel du diffuseur de bulles d'air par rapport à la performance du navire aux fins d'optimisation.
La prochaine étape pour le CNRC consistera à tester le modèle de glace dans l'installation avec une maquette munie d'un diffuseur de bulles d'air afin de mieux comprendre les problèmes qui ont été cernés avec le modèle à l'échelle réelle et de fournir des solutions. Une fois terminée, cette étude permettra au CNRC d'offrir des conseils sur l'emplacement optimal des diffuseurs et leur alimentation, ce qui aidera à accroître l'efficacité des brise-glace et à réduire leur empreinte carbone, et ce, sans nuire à la performance.