Table des matiéres
Le boom de l'après-guerre
Après la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a connu un baby-boom dont la nation ressent encore les effets aujourd'hui. Les politiques socioéconomiques de l'époque ont engendré une prospérité sans précédent au pays. Face à ces bouleversements, le CNRC est revenu à la recherche civile et a misé sur les technologies en construction, en fabrication et en santé susceptibles d'améliorer la vie de toute la population, y compris celle des anciens combattants.
L'énergie nucléaire : fission accomplie
L'énergie de l'atome au service de la paix
Le réacteur ZEEP (pour Zero Energy Experimental Pile) du CNRC, le premier réacteur nucléaire du Canada et aussi le premier à être bâti hors des États-Unis, a atteint sa masse critique à 15 h 45, le 5 septembre 1945, à Chalk River.
Entre 1940 et 1942, George Laurence a réussi à provoquer une fission de l'atome et a bâti le prototype d'un réacteur nucléaire au CNRC, à Ottawa. Par la suite, le Canada a collaboré avec la Grande-Bretagne et la France pour concevoir le ZEEP, son premier réacteur nucléaire fonctionnel. Vers la fin de 1945, bien qu'il ait été le premier pays hors des États-Unis à mettre en service un réacteur, le Canada s'est engagé à n'exploiter celui-ci qu'à des fins pacifiques.
Plusieurs réacteurs scientifiques ont suivi avant qu'en 1947 naisse le NRX, qui resterait le meilleur réacteur de la planète plusieurs années durant. Le NRU, son successeur, est le plus ancien réacteur encore en exploitation sur le globe. Il sert notamment à développer et à produire les isotopes médicaux avec lesquels on dépiste des maladies et soigne le cancer, à tester les carburants et les pièces des réacteurs, à modifier les réacteurs CANDU des centrales électriques, à produire le cobalt-60 qui stérilise le matériel médical, à produire les neutrons destinés à la recherche et aux essais sur les matériaux, et à élaborer des lignes directrices sur la sûreté des réacteurs nucléaires.
Ces réacteurs ont non seulement contribué à faire du Canada un leader dans le domaine, mais ils ont aussi engendré d'importantes retombées socioéconomiques. Avec des recettes annuelles dépassant 6,6 milliards de dollars, l'industrie nucléaire canadienne génère près de 40 000 emplois et produit 58 pour cent de l'électricité consommée en Ontario.
La neige sous toutes ses formes
Le système mondial de classification de la neige
Les études révolutionnaires du CNRC sur la neige et le système de classification qu'elles ont permis de mettre au point ont facilité des décennies de R-D sur la neige partout dans le monde, avec les conséquences que l'on imagine sur la conception des routes, des bâtiments et des produits de consommation.
Sèche, humide, poudreuse, vieille, compacte, granuleuse… Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire la neige. Ne pas pouvoir en mesurer de manière cohérente les propriétés physiques et mécaniques rendait toutefois la prévision de ses effets plus difficile dans maints domaines, des transports au ruissellement des eaux printanières, en passant par la construction et les sports d'hiver.
Lors de la première étude nationale sur la neige entreprise au Canada, en 1947, George Klein du CNRC a conçu les instruments et les protocoles indispensables pour analyser la neige. Du flocon moyen, il a décrit et a mesuré la taille, la forme, la température, la densité et la teneur en eau libre. Ses efforts ne sont pas passés inaperçus des experts de la planète. En 1951, aidé de l'Américain V. J. Schaefer et du Suisse M. R. de Quervain, George Klein a élaboré la première Classification internationale de la neige, qui répertorie sept types morphologiques de cristaux, auxquels s'ajoutent les états particuliers des précipitations glacées – grêle, neige roulée et grésil.
Les scientifiques continuent de raffiner cette classification en fonction des progrès accomplis par la météorologie et la technologie, notamment pour décrire la neige artificielle et d'autres formes de neige. La normalisation des mesures relatives à la neige nous touche tous, car elle rend les transports, les lieux de travail et les loisirs plus sûrs, par exemple en spécifiant les charges dues à la neige dans les codes de construction, en influant sur la géométrie des ponts et en prévenant les avalanches.
Pas de piste d'atterrissage? Pas de problème.
Le Beaver de Havilland
Le CNRC perfectionna les patins du Beaver de De Havilland, l'avion de brousse le plus populaire du pays, en les allégeant, en les rendant plus aérodynamiques et en réduisant leur adhérence à la neige.
Parsemé de lacs, de montagnes et de forêts sur un sol parfois gelé en permanence, le Nord canadien se prête mal à l'aménagement de pistes d'atterrissage ordinaires. Pourtant, des pilotes acheminent du matériel, quelquefois même des gens, dans les coins les plus reculés du pays. Pour cela, ils ont besoin d'un appareil sûr, capable d'atterrir et de décoller rapidement sur l'eau, la neige et des terrains parsemés d'arbres et de rochers.
En 1947, de Havilland Canada dévoilait son DHC-2 Beaver, un appareil à décollage et atterrissage courts (ADAC) dont le montage industriel a débuté l'année suivante. Très polyvalent, le Beaver a surpassé les attentes des pilotes, tant dans les airs que sur l'eau ou sur les pistes. Cependant, l'Air Service ontarien a demandé au CNRC d'améliorer les skis de l'appareil. Les ingénieurs du CNRC y sont parvenus en mettant au point des skis plus légers et aérodynamiques, qui adhéraient moins à la glace. Ils se sont ensuite rapidement attaqués à d'autres aspects en testant la performance de l'appareil en vol et en soufflerie, en redessinant ses ailes, en modifiant son moteur et en perfectionnant les capacités ADAC du Beaver et de ses successeurs, l'Otter et le Twin Otter.
Après plus d'un demi-siècle, les aviateurs révèrent encore les centaines de Beaver et d'Otter qui poursuivent inlassablement leurs vols vers les coins les plus retirés de la planète, et sont prêts à payer le prix fort pour s'en procurer un. Avec les 1 692 exemplaires produits, le Beaver a établi un record canadien en construction aéronautique et a lancé l'industrie des avions ADAC au pays.
Aller bon train
Des technologies pour l'industrie ferroviaire
Des ingénieurs du CNRC ont mis fin au « papam-papam » bien connu des voyages en train en mettant au point des techniques pour poser des sections de voie soudées de 426 mètres afin de remplacer les anciennes sections boulonnées de douze mètres, ce qui a considérablement réduit les coûts d'entretien et rendu les déplacements moins cahoteux pour les passagers.
Archives de la Ville de Toronto (S648_Fi0115_ID0002)
Vers le milieu du 20e siècle, les rails des trains et des trams couvraient des dizaines de milliers de kilomètres au Canada. Les voies ferrées devaient déplacer voyageurs et marchandises sans risque, aussi silencieusement et efficacement que possible.
En recourant à leur enceinte de réverbération, les ingénieurs du CNRC ont simulé le bruit d'une rame de métro circulant dans un tunnel. L'un d'eux a même été envoyé en détachement pour effectuer diverses recherches lors de la construction du métro de Toronto. Pour réduire le nombre de déraillements et garantir un fonctionnement plus souple, les ingénieurs ont élaboré des méthodes visant à empêcher la neige et la glace de s'accumuler sur l'aiguillage. L'équipe a aussi créé des rails soudés plus longs aux joints plus écartés, ce qui a contribué à réduire les frais d'entretien tout en rendant les déplacements moins cahoteux.
Les travaux et les recommandations du CNRC ont abouti à une insonorisation idéale des wagons de métro, ce qui minimise le vacarme. En appliquant aux rails plusieurs couches d'épaisseurs variées d'un enduit pour automobile, les ingénieurs ont coupé le bruit de moitié. Cette expertise a débouché sur d'autres projets, notamment la mise au point puis l'application de techniques de simulation qui se sont soldées par des épargnes annuelles de plusieurs millions de dollars grâce à une usure moins forte des rails et des roues, ainsi qu'à des pannes moins nombreuses. Ces prouesses techniques ont accru la sécurité, atténué le bruit et augmenté le rendement tout en allégeant les coûts.
Bien sur ses roues
Un fauteuil roulant motorisé pour les anciens combattants
George Klein, du CNRC, inventa le premier fauteuil électrique vraiment pratique en corrigeant les défauts des modèles précédents par l'augmentation de la tension électrique, l'ajout d'un système d'entraînement indépendant pour les roues et l'addition d'un dispositif de commande sophistiqué semblable à un manche à balai.
Un nouveau genre d'ancien combattant est ressorti de la Deuxième Guerre mondiale. En effet, grâce à la pénicilline, neuf soldats sur dix ont survécu à leurs blessures pour se retrouver, chez eux ou à l'hôpital, paraplégiques ou quadriplégiques. Le fauteuil roulant manuel ne leur convenait pas, surtout pour les quadriplégiques qui étaient incapables de se déplacer par eux-mêmes.
George Klein, du CNRC, a inventé un fauteuil roulant électrique pratique en corrigeant les défauts des modèles antérieurs, inacceptables. Il a commencé par augmenter la puissance du moteur électrique, puis a doté chaque roue d'un système d'entraînement indépendant afin que le fauteuil puisse pivoter facilement. Son système de commande sophistiqué, à huit positions, ne va pas sans rappeler le manche à balai des fauteuils roulants contemporains. Le chercheur a continué de perfectionner son modèle en collaborant étroitement avec ceux qui allaient s'en servir. Puis il a conçu un système qui actionnait le fauteuil par simple pression de la joue plutôt que de la main.
Il en est résulté le premier fauteuil roulant électrique vraiment pratique, une invention qui changerait la vie des personnes lourdement handicapées, tout en pavant la voie au nouveau domaine du génie de la réadaptation.
Au rythme du progrès
L'invention du stimulateur cardiaque
Des chercheurs du CNRC inventent, en 1950, le premier stimulateur cardiaque, et ils sont reconnus, des dizaines d'années plus tard, pour avoir mis au point le premier stimulateur « biologique » – un stimulateur capable de se recharger avec l'électricité produite par le corps.
Pendant les années 1940, les chirurgiens canadiens ont tenté des expériences avec des températures extrêmement basses pour ralentir le rythme cardiaque lors des interventions à coeur ouvert. Malheureusement, ils n'arrivaient pas à réaminer ce dernier quand il cessait de battre. Ils avaient besoin d'un moyen pour créer l'impulsion électrique à répétition qui imiterait les pulsations naturelles du coeur et qui empêcherait le muscle de se détériorer.
La tâche a été confiée à l'ingénieur John A. Hopps, du CNRC. Celui-ci a mis au point un circuit électrique doté d'un cadran pour stimuler légèrement le coeur à la cadence voulue. Le « dispositif » ressemblait à un coffret en métal de la taille d'une grosse boîte de céréales. À l'intérieur, des tubes à vide engendraient les impulsions électriques, que transmettait un fil isolé, inséré dans une grosse veine du cou.
Cette découverte canadienne a ouvert la voie à un tout nouveau domaine de recherche, celui du génie biomédical. Au fil des ans, les progrès apportés à la technologie des piles ont permis la miniaturisation du stimulateur, dorénavant implantable. En 1984, M. Hopps reçut son propre stimulateur cardiaque, découvrant ainsi de lui-même l'utilité de ses travaux monumentaux.
À bas les tumeurs
L'isotope cobalt-60 contre le cancer
Au début des années 1950, le CNRC a produit les isotopes de cobalt-60 qui ont fait entrer la radiothérapie dans une ère nouvelle et guéri du cancer des millions de personnes sur le globe.
Peu après la découverte du radium par Marie Curie, en 1898, on a recouru à l'irradiation pour soigner une foule de maux et de maladies. Si le traitement semblait prometteur pour quelques cancers localisés, les tumeurs les plus profondes y échappaient.
Puis, le Canada inaugura son puissant réacteur NRX et de nouveaux isotopes, destinés à la médecine et à la science, ont vu le jour. Parmi eux figurait le cobalt-60, adversaire de taille pour le cancer. Afin que le faisceau atteigne les tumeurs jusque-là inaccessibles, les chercheurs ont multiplié des milliers de fois la puissance et la concentration de l'isotope, que le CNRC a commencé à produire en série. Des dizaines d'autres isotopes ont été élaborés avec le réacteur NRX. Au début des années 1950, la « bombe au cobalt », comme on la surnommait avait augmenté le taux de survie des patients à 75 pour cent, alors qu'auparavant, à peine une personne sur cinq survivait plus de cinq ans à la maladie.
Avec le temps, les physiciens médicaux du CNRC ont mis au point une technologie pour cibler et détruire uniquement les tissus malades. Reposant sur la méthode statistique de Monte-Carlo, cette technologie calcule rapidement une dose de rayonnement précise, en fonction de chaque individu. Le CNRC en a cédé l'exploitation commerciale sous licence à Nordion Canada Inc., de sorte que l'on y recourt désormais dans des cliniques d'oncologie des quatre coins du monde.
Et il émet toujours!
L'indicateur de position d'écrasement est né
Le CNRC a conçu l'indicateur de lieu d'accident, ancêtre de la fameuse boîte noire des avions, qui est résistant aux chocs, au feu, aux explosions et à l'eau.
Trouver un avion qui s'écrase dans un coin perdu, surtout le Grand Nord canadien, sans signal de détresse revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Le meilleur système expérimental comptait trop de pièces pour être exploitable : un parachute, des amortisseurs, une antenne extérieure articulée, deux bras orientables et un ballonnet de flottaison!
Pour y remédier, le légendaire ingénieur du CNRC Harry Stevinson a inventé un appareil sans pièces mobiles, mais intégrant un émetteur, une antenne et un système permettant de détacher l'appareil de l'aéronef, et ce dans un tout petit réceptacle. Fixé au fuselage, un mécanisme à ressort permettait au dispositif de se détacher lors du choc et de le faire tomber à une distance sûre de l'appareil. L'ingénieur avait conçu un revêtement protecteur et un amortisseur robuste que les ondes radio pouvaient traverser. Une antenne diffusait le signal, peu importe son orientation par rapport au sol. Le dispositif flottait et résistait au feu; il a fini par être fabriqué par Leigh Instruments, près d'Ottawa.
À présent, la fameuse « boîte noire » comprend un enregistreur de vol et accompagne tous les aéronefs commerciaux de la planète. Subséquemment, le CNRC a acquis une grande expertise dans la récupération des données à partir des enregistreurs de vol endommagés.
Matière à recherche
Premiers pas vers la diffusion des neutrons
En 1994, Bertram Neville Brockhouse, célèbre pour ses travaux de pionnier en spectrométrie de neutrons, partageait le prix Nobel de physique avec Clifford Shull, du MIT, pour leurs recherches sur la diffusion des neutrons dans la matière dense, réalisées quelques dizaines d'années plus tôt.
Depuis les premiers jours de cette science qu'est la physique, les chercheurs s'acharnent à déchiffrer la nature fondamentale de la matière. Toutefois, faute d'une technologie suffisamment avancée, les principales propriétés et le comportement des atomes leur ont longtemps échappé.
Puis Bertram Neville Brockhouse est arrivé en 1950. En se joignant au CNRC dans le cadre de son projet sur l'énergie nucléaire, aux laboratoires de Chalk River, ce physicien allait tout changer. Durant sa carrière, il a mis au point des spectroscopes et les a appliqués à la dispersion inélastique des neutrons, branche de la spectroscopie qui recourt aux neutrons pour mesurer les déplacements des atomes dans les matériaux. Cette technique analyse le comportement des neutrons durant leur déplacement à travers la matière grâce à des instruments tel le spectromètre de neutrons à trois axes.
M. Brockhouse a remporté le prix Nobel de physique de 1994 pour ses travaux hors du commun; par ailleurs, les techniques qu'il a perfectionnées aident toujours les chercheurs en chimie organique et en physique des semi-conducteurs. Au nombre de leurs applications en biologie figure l'étude de la structure des virus et des molécules d'ADN. Dans le secteur des transports, les ingénieurs s'en servent pour vérifier les contraintes que les procédés de fabrication exercent sur les pièces des trains, des automobiles et des avions.
Le bout du tunnel
Une navigation plus sûre dans le passage Seymour
En 1958, le CNRC a orchestré le nivelage à coups d'explosifs de Ripple Rock, dans le passage Seymour, en Colombie-Britannique, afin de rendre la navigation plus sûre dans ce corridor maritime aux eaux imprévisibles.
Musée de Campbell River (explosion de Ripple Rock 19984-3)
Des courants aussi capricieux que violents brassent les eaux du passage Seymour, voie navigable longeant l'île de Vancouver. Des siècles durant, une montagne sous-marine – Ripple Rock ou Ol' Rip – a rendu la navigation dans cet étroit goulet plus périlleuse encore. À marée basse, ses griffes de pierre déchiraient la surface de l'eau, faisant sombrer les bateaux. Plus d'une centaine de personnes y ont perdu la vie. De surcroît, la force du courant rendait impossible toute tentative d'aplanissement des dangereux récifs.
En 1953, des chercheurs du CNRC ont étudié la possibilité de creuser une galerie, verticalement puis horizontalement, entre l'île Maud et Ripple Rock. Imaginez des cambrioleurs perçant le sol en zigzag pour accéder à la chambre forte d'une banque. Le CNRC a recommandé ce projet d'ingénierie de plusieurs millions de dollars, puis l'a dirigé. Des entreprises ont apprêté puits et explosifs, si bien que le 5 avril 1958, la plus forte explosion non nucléaire jamais enregistrée jusqu'alors a rasé le sommet de Ripple Rock.
L'explosion contrôlée a rendu la navigation plus sûre dans la région. Désormais, cargos et navires de plaisance traversent le passage Seymour qui relie le nord de la Colombie-Britannique et l'Alaska à Vancouver et à Seattle. Le Canada considère la décapitation de Ripple Rock comme un fait marquant de l'histoire nationale et comme une prouesse technique qui a captivé la population mondiale et a détourné son attention de la physique atomique.
Autant en emporte le temps
Naissance de l'horloge à jet de césium
Le CNRC est le gardien du temps du Canada depuis 1939 et les auditeurs de la première chaîne de Radio-Canada étaient invités à régler leurs horloges « au début du trait prolongé ».
Pendant des millénaires, l'être humain a cherché comment mesurer le temps avec la plus grande précision possible. Il ne pouvait y arriver, car la rotation quotidienne de la Terre était trop irrégulière et les instruments qui suivaient le passage du temps manquaient de fiabilité. L'avènement de l'horloge atomique a tout changé.
Les scientifiques du CNRC ont conçu en 1958 une des premières horloges à jet de césium de la planète. Cet appareil fondamental les amènerait à inventer l'horloge la plus stable et la plus précise dans le monde. Cet instrument est d'une telle précision qu'il ne retarde que de trois secondes par million d'années. L'utilité des horloges à jet de césium réside dans le fait qu'elles offrent une définition du temps, c'est-à-dire un étalon primaire de fréquence servant à « surveiller » les autres horloges. En 1970, le CNRC est devenu le gardien du temps du Canada et a créé peu après le premier instrument au monde combinant l'exactitude d'un étalon primaire de fréquence à la capacité d'une horloge à mouvement perpétuel.
Ce nouvel appareil autonome, qui permettait de résoudre le problème du décalage de fréquence des horloges secondaires, est devenu l'étalon du temps canadien. Depuis, on s'en sert pour donner l'heure officielle et régler les horloges partout dans le monde.
Dompter le plus grand courant de l'histoire
L'aménagement du Saint-Laurent
Le CNRC a joué un rôle dans l'aménagement de la voie maritime du Saint-Laurent en contribuant à modéliser sa construction et les impacts de cette dernière.
La voie navigable du Saint-Laurent a été inaugurée en 1959, avec ses sept écluses séparant Montréal du lac Ontario. On estime qu'il s'agit d'un des plus grands exploits d'ingénierie de l'humanité. Travaux mis à part, l'aménagement du fleuve supposait aussi la gestion d'importants ponts et tunnels, de même que la relocalisation des routes et des agglomérations qui se retrouveraient sous eau.
Le CNRC a modélisé en partie les travaux prévus, en vue d'établir le trajet idéal pour l'écoulement des eaux. Comme plusieurs municipalités seraient inondées, donc abandonnées, le CNRC a eu à sa disposition un site grandeur nature à incendier avant sa démolition. Il a ainsi pu effectuer des recherches capitales sur la lutte contre le feu. Les données recueillies dans le cadre de ces études ont contribué à la modification du Code national du bâtiment du Canada. Les essais sur le feu du CNRC ont même abouti à l'adoption des détecteurs de fumée au lieu de détecteurs de chaleur. D'autres pays ont eu vent de la chose et ont intégré les changements canadiens à leur propre code de sécurité incendie. On a aussi dû tenir compte de la glace lors de la construction de la voie navigable, ce qui a amené le CNRC à réaliser d'importantes recherches sur la neige et la glace.
La voie navigable du Saint-Laurent a multiplié les possibilités pour le commerce, la navigation et la recherche. Les études se poursuivent encore de nos jours, le CNRC tentant notamment de voir comment on pourrait produire de l'électricité sans ériger de barrages ou de vannes le long du fleuve.
Un succès attachant en chirurgie
Premières greffes de rein et invention de l'agrafeuse pour la microchirurgie
Le célèbre chirurgien canadien Isaac Vogelfanger collabora avec les ingénieurs du CNRC pour mettre au point avec eux le premier dispositif d'agrafage efficace en microchirurgie.
En dépit des progrès technologiques réalisés dans les années 1950 et au début de la décennie suivante, les médecins boudaient certaines innovations. Pourquoi? Leurs limites en chirurgie. En effet, les chirurgiens avaient constaté que la suture manuelle des minuscules artères et veines lors d'une intervention exigeait un doigté considérable. De plus, l'opération durait plus de 30 minutes, ce qui s'avérait trop long dans certains cas.
Le célèbre chirurgien canadien Isaac Vogelfanger et d'autres médecins ont collaboré avec les ingénieurs du CNRC pour surmonter le problème. L'équipe interdisciplinaire a mis au point le premier dispositif d'agrafage efficace en microchirurgie au monde. Très sophistiquée pour l'époque, l'agrafeuse du CNRC et du Dr Vogelfanger consistait en un instrument tubulaire dont on entourait les vaisseaux sanguins ayant seulement un millimètre de diamètre pour les raccommoder avec des agrafes stériles en quelques secondes, au lieu de la procédure manuelle, complexe et laborieuse.
L'appareil a sauvé maintes vies et permis aux chercheurs d'explorer de nouvelles techniques pour la neurochirurgie, les greffes et la réparation des plaies profondes. Sans la précision et la rapidité de cette agrafeuse, les premières greffes de coeur et de rein de l'époque n'auraient peut-être pas eu lieu. Au bout du compte, c'est la société montréalaise Preci Surgical Ltd. qui a commercialisé, à l'échelon international, l'instrument et les technologies qui en ont découlé.
Faire tourner les hélicos
Pilotage automatique pour hélicoptères
Le CNRC a développé les premières commandes de stabilisation électriques pour hélicoptère et a appliqué cette technologie à des simulateurs de vol qui ont servi à tester un vaste assortiment d'aéronefs ainsi qu'à former les pilotes d'hélicoptère.
Les progrès technologiques ont permis aux hélicoptères de gagner en vitesse, maniabilité, stabilité et performance. Néanmoins, les vols de combat et ceux effectués de nuit ou par mauvais temps ne bénéficiaient pas nécessairement des mêmes améliorations. En effet, quand le pilote ne pouvait se faire une idée de la situation à l'extérieur, il n'avait souvent d'autre recours que de se fier aux instruments de bord. Or, l'hélicoptère est beaucoup plus difficile à piloter qu'un avion quand on navigue aux instruments.
En 1960, le CNRC inventa la technologie des commandes de vol électriques. Celle-ci convertit les relevés des instruments du poste de pilotage en signaux électroniques et actionne les commandes qui contrôlent la vitesse de l'appareil, l'angle de tangage et d'autres paramètres. Après avoir adapté les commandes électriques pour faire d'un hélicoptère le premier simulateur de vol aérien, les ingénieurs du CNRC n'ont cessé d'y apporter des perfectionnements.
Les commandes électriques rendent les vols plus sûrs, permettent au pilote de se concentrer sur sa mission et reproduisent le vol d'une foule d'aéronefs. Les écoles de pilotage envoient des centaines d'élèves au CNRC y suivre une formation spéciale sur quelques-uns des hélicoptères de recherche et à pilotage automatique les plus évolués de la planète. Grâce à ces appareils, les étudiants s'exercent sur divers modèles d'aéronefs, y compris le récent module d'alunissage. Bell Helicopter a dévoilé son premier hélicoptère à pilotage automatique commercial en 2012.
Échec à la « mort blanche »
Prévention des avalanches au col Rogers
Les chercheurs du CNRC ont concouru à établir le trajet le plus sûr à travers le col Rogers tout en suggérant l'érection d'abris et d'autres ouvrages de sécurité aux endroits les plus dangereux.
Musée et archives de Revelstoke (collection Peter Schaerer)
Quatre-vingt-dix pour cent des décès attribuables aux avalanches mettent en cause des amateurs de plein air qui s'aventurent dans les montagnes canadiennes. Lorsque l'on a envisagé d'allonger la Transcanadienne en lui faisant traverser le lointain col Rogers, en Colombie-Britannique, les constructeurs ont admis qu'ils exposeraient les automobilistes au risque d'une avalanche, aussi surnommée la « mort blanche ».
Pour protéger les automobilistes, les constructeurs se sont tournés vers des ingénieurs canadiens qui cumulaient des dizaines d'années d'expérience en recherche sur la neige et la glace. Les chercheurs du CNRC ont contribué à établir le trajet le plus sûr à travers le col Rogers et ont préconisé l'érection de pare-avalanches et d'autres structures aux endroits les plus périlleux. Ils ont aussi appris aux responsables de la voirie à prédire les avalanches d'après la couverture de neige, la température et le vent.
Aujourd'hui, cette formation a évolué pour devenir un cours que doivent suivre presque tous ceux qui travaillent dans les zones à risque d'avalanche au Canada. Désormais, le col Rogers fait l'objet du plus important programme mobile de lutte contre les avalanches au monde. Ce programme comprend des télécapteurs, l'observation des conditions météorologiques et de la neige, ainsi que des systèmes de prévention complexes, notamment l'usage d'artillerie pour déclencher les avalanches imminentes. Ensemble, ces mesures ont fait en sorte que les automobilistes qui empruntent le col Rogers ne périssent pas ensevelis sous la neige.
Le télémanipulateur spatial
Un bras articulé pour les vols Alouette,Mercury, Gemini et Apollo
L'antenne STEM, mise au point par le CNRC, était technologiquement unique. Elle a équipé tous les satellites canadiens de la première heure comme l'Alouette 1 et 2, et la NASA s'en servit pour ses missions Mercury, Gemini et Apollo.
Photo du satellite Alouette (98-1303) fournit par Innovation, Sciences et Développement économique Canada
Lancé en 1962, Alouette, le premier satellite canadien, avait besoin d'antennes légères, mais assez robustes pour supporter la force de propulsion dans l'espace et relayer les signaux à la Terre. Le satellite était conçu pour étudier l'ionosphère, couche de l'atmosphère chargée de particules électriques. Plusieurs longues antennes lui étaient donc nécessaires.
George Klein, légendaire inventeur du CNRC, avait conçu pour l'armée une antenne tubulaire, extensible et escamotable. Solide, compacte, robuste et fonctionnelle, elle a été adaptée pour le satellite, si bien qu'Alouette gagna l'espace pourvu de quatre antennes télescopiques qui, au décollage, s'enroulaient comme le ruban à mesurer d'un menuisier. Cette antenne a fait partie de toutes les premières missions d'exploration spatiales américaines avec équipage : Mercury, Gemini et Apollo. Le système télescopique, qui faisait passer la longueur maximale de l'antenne de 6 à 45 mètres, a fini par devenir la norme en technologie spatiale.
Comme c'est le cas pour la plupart des recherches de l'ère spatiale, cette technologie fut adaptée afin d'accomplir de multiples tâches sur Terre : perches pour élever des caméras et des projecteurs, leviers hydrodynamiques, jambes télescopiques des trépieds d'arpenteur, outils servant à alimenter les fours industriels ou à déplacer l'équipement dans les installations minières et nucléaires dangereuses.
Communiquer librement
Dispositifs pour enfants handicapés
Orest Z. Roy, du CNRC, mit au point le dispositif COMHANDI qui permettait aux paralytiques sévères de communiquer à l'aide d'un alphabet électronique.
Jusque dans les années 1960, les personnes handicapées souffraient du manque d'accessoires fonctionnels, ce qui limitait leurs activités quotidiennes, voire la communication pure et simple. Le thalidomide et la guerre du Vietnam ont multiplié le nombre de personnes, y compris des enfants, nécessitant des outils spéciaux qui les aideraient à prendre leur vie en main et à participer activement à la société.
La situation était telle que le ministre fédéral Walter Dinsdale et les chercheurs du CNRC Orest Roy et Raymond Charbonneau ont défendu ardemment un partenariat public-privé inédit : Appareils Techniques et Systèmes pour les Handicapés inc. (TASH). Installé à Markham, en Ontario, ce fabricant fournissait des dispositifs médicaux canadiens issus au départ des recherches du CNRC en génie biomédical. En 1963, par exemple, une innovation baptisée COMHANDI a permis aux personnes gravement paralysées de communiquer et de former des mots grâce à un abécédaire électronique à partir du plus infime mouvement, ne serait-ce que le battement d'une paupière.
Ces outils d'aide et d'apprentissage conviviaux captaient si bien l'attention des enfants que ceux-ci les prenaient pour des jouets. TASH a commercialisé près de 200 produits dans plus de 25 pays et enregistré des ventes de plusieurs millions de dollars. Le partenariata eu un impact humain incalculable. Grâce à ces outils facilitant les contacts, l'équipe biomédicale du CNRC a su jeter un pont vers l'inclusion qui durera longtemps.
D'imbuvable à potable
Une membrane pour purifier l'eau
Le CNRC collabora avec l'UCLA pour faire de l'osmose inverse une technique commercialement rentable (la méthode Loeb-Sourirajan) permettant de purifier l'eau avec des membranes.
Sans eau douce, l'être humain ne survivrait pas. Depuis longtemps, les chercheurs tentaient de voir comment l'osmose et les membranes pourraient débarrasser l'eau de ses impuretés. Vers le milieu du 20e siècle cependant, la lenteur du débit et une filtration incomplète entravaient toujours les études en cours dans les universités et les laboratoires gouvernementaux.
Tout a changé quand Srinivasa Sourirajan, du CNRC, a collaboré avec Sidney Loeb, ingénieur chimiste de la Californie, pour faire de l'osmose inverse une technologie commercialement exploitable. Leur technique purifiait l'eau en forçant une grande quantité d'eau à traverser sous pression des membranes asymétriques et semi-perméables en acétate de cellulose, un plastique naturel.
Par la suite, le CNRC a conçu des membranes d'osmose inverse pour diverses industries. Ainsi, en filtrant jusqu'à 80 pour cent de l'eau de la sève des érables avant sa transformation en sirop, les acériculteurs canadiens peuvent économiser sur le coût et la quantité d'énergie consommée. Les membranes spéciales du CNRC concentrent aussi les jus de fruit et réduisent le volume de résidus liquides des industries.
La croissance démographique entraîne la construction d'usines d'épuration par osmose inverse de plus en plus nombreuses. À présent, la technique Sourirajan-Loeb touche des milliers d'établissements qui purifient l'eau et transforment les aliments par osmose inverse. Les filtres servent aussi dans diverses applications environnementales et médicales comme la dialyse.
Une réussite du terroir
Création d'une culture valant des milliards
Dans les années 1950, les chercheurs du CNRC contribuèrent au développement du canola, variété canadienne nourrissante et lucrative de colza désormais cultivée partout au pays.
L'huile du colza était depuis toujours très recherchée comme lubrifiant dans les industries ferroviaires et maritimes. Après la Deuxième Guerre mondiale cependant, quand le diesel a remplacé la vapeur, la demande d'huile a chuté. Les tentatives en vue d'écouler le colza sur le marché de consommation se sont soldées par un échec, car la plante était impropre à la consommation, tant humaine qu'animale. Les agriculteurs canadiens songeaient donc à en abandonner la culture, même si cela signifiait dépendre encore plus du blé.
Des scientifiques du CNRC, des agronomes d'Agriculture Canada et des chercheurs universitaires des Prairies ont collaboré durant plusieurs dizaines d'années pour rendre le colza comestible en diminuant sa teneur en acide érucique et en glucosinolates. Par l'hybridation et d'autres techniques, ils ont créé de nouvelles variétés chez lesquelles les caractères indésirables étaient réduits au minimum et dont la qualité nutritive, la croissance, la résistance, de même que la quantité d'huile produite étaient supérieures. Ces transformations ont abouti à la genèse d'une nouvelle plante : le « colza oléagineux à faible teneur en acide » ou canola.
Aujourd'hui, on retrouve le canola dans les aliments, les cosmétiques, le biocarburant et les aliments du bétail. Chaque année, cette culture injecte au-delà de 19 milliards de dollars dans l'économie canadienne et procure un emploi à près de 250 000 personnes. Le Canada continue d'en cultiver des millions d'hectares et il est le centre mondial de la recherche sur cette plante.