Signature de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l'intelligence artificielle. De gauche à droite : Daniel Gagnon, Stéphane Tremblay, John Shannon, Iain Stewart, Jean-François Lapointe, Miroslava Cuperlovic-Culf, Berry de Bruijn
Ayant grandi dans l'ex-Yougoslavie, Miroslava Cuperlovic-Culf ne s'est jamais demandé si les femmes pouvaient faire une carrière en science. Dans son pays, les femmes étaient nombreuses à enseigner et à participer à l'activité économique et scientifique. Ses parents partageaient aussi cette vision. « Tous les membres de ma famille travaillaient en sciences d'une façon ou d'une autre. On peut dire que c'est dans nos gènes! », nous a confié Mira.
Ce n'est qu'à son arrivée aux États-Unis en 1992 pour y faire ses études de maîtrise et de doctorat qu'elle a constaté que le monde de la physicochimie computationnelle était dominé par les hommes. Toutefois, grâce à son intelligence et à sa détermination et aux expériences riches qui ont jalonné son parcours, elle s'est taillé une carrière enviable dans les universités et instituts de recherche les plus réputés en Amérique du Nord.
Célébrer l'union entre la biologie et l'informatique
Le domaine de recherche de Mira se situe à la frontière entre les systèmes biologiques et l'intelligence artificielle. Arrivée au Conseil national de recherches du Canada (CNRC) en qualité d'agente de recherches, il y a 12 ans, elle dirige aujourd'hui une dizaine de chercheurs qui se servent de l'intelligence artificielle, notamment de l'apprentissage machine, pour analyser les interactions à l'échelle moléculaire. Mira et son équipe se spécialisent dans l'étude de la dynamique cellulaire et du comportement des cellules dans différents environnements. Elles travaillent avec d'autres chercheurs dans le domaine de la santé pour percer les secrets de pathologies comme la maladie d'Alzheimer et le cancer, trouver de nouvelles méthodes de diagnostic et de traitement telles que la thérapie génique et cellulaire et mettre au point des procédés de production connexes. Les travaux de l'équipe contribuent également à la recherche en phytobiologie et en phytogénétique.
Lors de la mise sur pied du programme Défi « L'intelligence artificielle au service de la conception » en 2018, le CNRC a confié à Mira la direction du projet d'intelligence artificielle appliquée aux systèmes biologiques, un jumelage qui allait de soi pour une chercheuse de ce calibre qui fait œuvre de pionnière dans l'utilisation de l'IA en santé depuis 25 ans.
« Le programme "L'intelligence artificielle au service de la conception" consacre le mariage entre la biologie et les sciences informatiques, et permet des collaborations avec des éminences scientifiques de partout au pays. En réunissant les plus grands cerveaux du Canada, nous espérons pouvoir passer à un niveau supérieur de découverte et améliorer le pronostic des personnes atteintes du cancer et de maladies génétiques », dit la chercheuse.
Dans le cadre du projet d'intelligence artificielle pour les systèmes biologiques, Mira optimisera les procédés de création de cellules universelles et la compréhension de leur comportement grâce à l'intelligence artificielle. Les cellules universelles sont comme une page blanche sur laquelle on peut écrire un programme pour les transformer en différentes sortes de cellules. Elles sont de plus indétectables par le système immunitaire, ce qui en fait des alliées pour la thérapie cellulaire et la régénération des organes et des tissus.
À l'heure actuelle, la thérapie cellulaire est efficace contre le cancer, mais elle s'avère très coûteuse, car elle doit être adaptée à chaque patient. Elle n'est donc accessible qu'à un petit nombre de malades. Les chercheurs espèrent pouvoir remplacer les lymphocytes T qu'il faut extraire des tissus de chaque patient par des cellules universelles qui seront tolérées par tous les organismes. La thérapie cellulaire deviendrait alors plus simple à produire et plus abordable, ce qui élargirait son accès à un plus grand nombre de patients cancéreux.
« Pour le moment, la grande difficulté dans l'utilisation des cellules universelles est de réussir à les programmer pour qu'elles développent les propriétés recherchées, par exemple, qu'elles soient moins susceptibles aux mutations ou qu'elles puissent être activées à volonté pour exprimer les gènes cibles (expression contrôlée). Il faut aussi apprendre à connaître leur comportement dans différents milieux biologiques. C'est ce que nous visons à accomplir dans le cadre de notre projet », raconte Mira.
Passion et collaboration : les clés du succès
Lorsqu'on lui demande si elle a eu des mentors pour l'épauler dans sa carrière, Mira mentionne aussitôt le nom de Myer Bloom, son maître de stage postdoctoral à l'Université de Colombie-Britannique. « Myer a été l'incarnation de ce qu'il fallait faire pour connaître du succès en science. Il avait un sens aigu de la collaboration et de la collégialité. Il savait pertinemment qu'aucune équipe ne pouvait tout faire à elle seule, et s'efforçait donc continuellement de nouer des liens avec d'autres groupes. Il nous encourageait à prêter nos équipements, à fréquenter nos laboratoires respectifs et à échanger nos idées. C'est aujourd'hui la philosophie qui dicte ma façon d'aborder le programme d'intelligence artificielle au service de la conception », explique Mira au sujet des relations qu'elle entretient avec les universités où elle travaille.
Mira a également eu le plaisir de superviser de nombreux étudiants dans sa carrière, des hommes autant que des femmes, sans toutefois avoir cherché délibérément la diversité des genres. « Ce que je recherche avant tout chez un étudiant, c'est la passion pour la science. Souvent, le premier trimestre de stage est l'occasion pour un jeune chercheur de confirmer sa vocation. C'est un grand privilège pour moi de pouvoir partager mon amour de la science avec mes étudiants. J'espère qu'ils peuvent voir l'étincelle qui brûle en moi et que je peux allumer la leur. »
Pour ce qui est de son style de gestion, Mira est plutôt non interventionniste. « Mon équipe est à l'avant-garde en intelligence artificielle et en apprentissage machine, alors je laisse à mes collaborateurs la latitude voulue pour exprimer leurs talents. Je leur fais des suggestions lorsque je crois que cela peut être utile, sans m'ingérer dans la conduite de leur travail au quotidien. » Accepter la diversité des idées et des méthodes favorise le respect mutuel et optimise les résultats scientifiques, ce que nous soulignons chaque année à l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles en science, le 11 février.