Que d'eau, que d'eau! Le saviez-vous? L'eau qui inonde votre véhicule au lave-auto a été recyclée; le terrain de golf sur lequel vous jouez est irrigué avec de l'eau réutilisée.
Une nouvelle nanotechnologie mise au point par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) en collaboration avec le centre de recherche Almaden d'IBM, le centre d'études avancées d'IBM Alberta et l'Université de l'Alberta pourrait réduire notre consommation d'eau douce ainsi que les émissions de gaz à effet de serre venant de l'exploitation des sables bitumineux albertains.
La technologie membranaire brevetée par IBM pourrait améliorer la réutilisation de l'eau, qu'elle serve à nettoyer les voitures, à arroser les terrains de golf ou à vider la cuvette des toilettes.
« Quoique développée au départ pour soutenir le pilier de l'économie albertaine, notre technologie a une plus vaste portée, ailleurs au Canada et sur le globe », affirme Andrew Myles, directeur de la R-D au Centre de recherche en nanotechnologie du CNRC. « Cette technologie pointue promet de résoudre certains problèmes par une extraction plus efficace des matières qui polluent l'eau libérée par le pétrole. »
Grâce aux membranes qui, à l'instar de gigantesques tamis, filtrent les impuretés dans l'eau ou séparent le bon du mauvais dans les liquides, les réserves mondiales d'eau potable dureront plus longtemps. Cependant, dans son état actuel, la technologie ne suffira pas à atténuer les multiples effets du réchauffement climatique, de la pollution omniprésente et de l'amenuisement des stocks d'eau douce.
Souvent, les industries qui alimentent l'économie locale dépendent de l'utilisation d'eau douce. Ainsi, l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta, au Canada, requiert de l'eau pour amollir le bitume (une huile aussi épaisse que la poix employée dans l'asphalte) dans le sable et l'expédier à la raffinerie par pipeline. Bien que l'eau soit recyclée en partie, la technologie existante limite la quantité qui peut être traitée.
On estime que les sables bitumineux de l'Alberta se rangent au troisième rang parmi les plus importants gisements de pétrole de la planète (165 milliards de barils).
« Nous avons besoin de techniques pour purifier l'eau sur une plus grande échelle, et ces techniques doivent être moins onéreuses, plus robustes et adaptables », ajoute M. Myles.
La multiplication des technologies membranaires
Les matières organiques, inorganiques et biologiques qui obstruent ou encrassent la surface et les pores des membranes sont le principal obstacle qui empêche celles-ci de fonctionner efficacement. D'ailleurs, elles ne font pas que réduire la performance de la membrane : elles augmentent les frais d'exploitation. Néanmoins, une solution aussi rentable qu'innovante vient de voir le jour. Cette nouvelle technologie membranaire, les copolymères à blocs étoilés (ou nanoparticules polymériques), accentue les propriétés antisalissure de la membrane.
En 2016, sous l'égide du centre d'études avancées d'IBM Alberta et avec la coopération des chercheurs du CNRC, d'IBM Research et de l'Université de l'Alberta, une alliance a officiellement été créée à Edmonton, avec pour mission d'élaborer une solution antisalissure efficace pour les membranes servant à épurer l'eau.
« La vaste panoplie de matériaux de pointe d'IBM, l'infrastructure exceptionnelle du CNRC et son expertise dans les nanomatériaux et leur caractérisation, ainsi que les connaissances approfondies de l'Université de l'Alberta dans les techniques d'épuration de l'eau, ont servi d'assise à ce projet fructueux », explique Mohtada Sadrzadeh, directeur du laboratoire de recherche avancée sur l'eau de l'Université de l'Alberta.
Des chercheurs du centre Almaden d'IBM ont inventé des revêtements monocouches autoassemblés à partir de copolymères à blocs étoilés d'une conception inédite. Mme Young-Hye Na pilote le projet des matériaux membranaires et le programme de stockage de l'énergie au centre Almaden d'IBM, à San Jose, en Californie. Accessoirement, elle enseigne à temps partiel à l'Université de l'Alberta.
Mme Na a relevé le défi colossal de perfectionner les revêtements antisalissure des membranes, tâche particulièrement ardue quand on songe à ses exigences contradictoires : prévenir l'encrassement sans que le débit de la membrane en souffre. La chercheuse figure parmi les premières à avoir recouru aux polymères étoilés à autoassemblage pour obtenir des membranes antisalissure chez IBM.
« Les chercheurs canadiens (du CNRC et de l'Université de l'Alberta) ont des compétences hors du commun pour ce qui est de fabriquer et de caractériser les membranes, puis les tester. Cette formidable collaboration nous a permis de couvrir le spectre entier des technologies, des molécules aux matériaux », affirme Mme Na.
Selon Jae-Young Cho, chercheur au Centre de recherche en nanotechnologie du CNRC, les revêtements pour membranes brevetés par IBM, faits de nanoparticules de polymères, ouvraient la porte à de passionnantes possibilités pour combattre l'encrassement. Le produit promettait beaucoup par sa stabilité et sa capacité à repousser le pétrole et les gaz. Cependant, il fallait l'examiner et vérifier plusieurs paramètres, entre autres établir s'il était en mesure de résister aux températures élevées et à de rudes traitements.
Spécialiste de l'analyse microscopique, M. Cho s'est servi des microscopes électronique et à force atomique du CNRC pour examiner de plus près les nanoparticules, en préciser les caractéristiques et effectuer une batterie de tests. Il a ainsi pu vérifier les effets du grattage et du chauffage, évaluer la stabilité thermique et mécanique de la membrane et déterminer la tolérance de sa surface à l'eau (caractère hydrophile ou hydrophobe).
« C'est complexe, mais ce travail est indispensable si l'on veut caractériser la membrane, affirme M. Sadrzadeh. Les images obtenues par M. Cho sont les meilleures que j'ai vues de ma vie. Grâce à elles, les recherches ont pris une nouvelle orientation. »
Au bout du compte se trouvait une solution novatrice qui a rendu la membrane hydrophile : on l'a recouverte de nanoparticules de polymère uniques qui se fixent solidement à sa surface et repoussent les matières pouvant l'obstruer.
Les membranes : un des principaux moyens pour épurer l'eau
Cette collaboration scientifique pourrait avoir un impact appréciable sur la gestion de l'eau dans l'exploitation des sables bitumineux, en Alberta et ailleurs. Selon M. Sadrzadeh, les membranes antisalissure pourraient diminuer le volume d'eau potable utilisée pour traiter les sables de jusqu'à 15 % et les émissions de gaz à effet de serre d'autant. Bien entretenues, les membranes dureront de 5 à 7 ans, ce qui réduira sensiblement la contamination industrielle et la consommation d'énergie.
Les membranes s'adaptent aussi à divers usages résidentiels et à l'épuration de l'eau dans les municipalités. Rien ne limite le type de nanoparticules dont elles pourraient être recouvertes, peu importe leurs dimensions, afin de filtrer des contaminants — sel, impuretés ou virus.
M. Myles précise que le projet illustre bien comment le CNRC aide le Canada à surmonter ses problèmes les plus épineux en rassemblant gouvernements, universités et industries.
« Notre succès repose vraiment sur la collaboration et l'engagement des participants. En poursuivant sur cet élan, nous continuerons d'innover et de faire progresser les nanotechnologies », conclut-il.