La science trouve souvent son inspiration dans la nature. Depuis quelques années déjà, des mathématiciens, des informaticiens, des spécialistes en robotique et d'autres scientifiques étudient et expérimentent l'intelligence en essaim, cette forme d'intelligence avec laquelle les abeilles, les fourmis et d'autres animaux semblent collaborer pour atteindre un but commun comme la construction d'une ruche ou d'une fourmilière, sans recevoir d'instructions centrales d'un échelon plus élevé.
Des chercheurs et des ingénieurs du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et de l'Université Memorial de Terre-Neuve (en anglais seulement), à St. John's, ont entrepris d'appliquer ce concept à la navigation, très délicate, dans les eaux recouvertes de glace. Leur « essaim » consiste en une flotte de navires autonomes, sans équipage, ayant pour mission d'ouvrir un passage dans la glace de manière à faciliter le transport maritime dans le Nord. L'équipe examine comment une telle flotte pourrait être contrôlée en vue de réaliser cette mission grâce à une technique d'intelligence artificielle (IA) baptisée « apprentissage par renforcement ».
Les journées de travail sont longues pour un brise-glace
Pour se frayer un chemin dans les eaux encombrées par la glace, les navires comptent souvent sur l'aide d'un brise-glace, bâtiment robuste conçu non seulement pour résister à la pression de la glace, mais aussi pour rompre celle-ci. Or, si le brise-glace n'a aucun mal à s'ouvrir un passage, le chemin peut se refermer rapidement dès que le temps se gâte. Kevin Murrant (Ph. D.), ingénieur au Centre de recherche en génie océanique, côtier et fluvial du CNRC, et Andrew Vardy (Ph. D.), chef du groupe BOTS (acronyme de bio-inspired robotics ou robotique s'inspirant de la biologie), à l'Université Memorial, se sont alliés pour aborder ce problème sous un angle différent en se demandant si un groupe de bâtiments plus modestes mais autonomes pourrait suivre le brise-glace afin de repousser la glace et de garder le chenal indéfiniment navigable.
Une solution inédite à un problème complexe
En général, les marins préfèrent ne pas heurter la glace. Avec leur système, Kevin Murrant et Andrew Vardy souhaitent exactement le contraire : guider leur embarcation vers la glace pour en débarrasser le chemin. Néanmoins, un tel objectif ne va pas sans ses propres difficultés. En effet, comme l'explique M. Murrant, la glace n'est pas stationnaire, si bien que « donner une configuration précise au champ de glace en poussant cette dernière sur le côté », par exemple, s'avère extrêmement difficile. Ajoutez à cela l'idée de faire évoluer en tandem plusieurs navires privés d'équipage et le problème devient encore plus intéressant.
Pour M. Vardy, le travail en essaim correspond à « un groupe d'agents qui collaborent entre eux sans recevoir de directives d'une intelligence centrale ». Un de ses principaux avantages, selon lui, est la possibilité d'une expansion. En d'autres termes, lorsqu'un navire connaît une avarie, d'autres prendront la relève ou on pourra en amener davantage, s'il le faut.
M. Vardy ajoute que la façon dont manœuvrent les navires et les conditions dans lesquelles ils opèrent compliquent la création d'un système d'intelligence artificielle pour les commander. « Un navire est un système particulier en soi à cause de la lenteur de ses réactions. Il met beaucoup de temps à s'arrêter. Qui plus est, la houle complique les interactions entre les embarcations et chacune engendre des vagues. »
L'apprentissage automatique récompensé
L'équipe croit que l'apprentissage par renforcement se prête à la résolution d'un tel problème, car cette méthode exige habituellement un objectif bien défini : libérer une voie d'eau de la glace, dans ce cas.
Membre de l'équipe BOTS, Marius Seidl (Ph. D.) travaille à l'obtention d'un 2e doctorat. Pour que l'apprentissage par renforcement fonctionne, estime-t-il, il faut à la fois fixer un but et offrir une « récompense numérique » à chaque étape qui nous en rapprochera. « Si les navires autonomes réussissent à dégager la surface de la glace, le système leur accorde une grande récompense. Mais si la quantité de glace augmente, la récompense est négative. »
Les chercheurs déterminent l'aspect final que doit présenter la surface et l'IA apprend comment y arriver. M. Seidl compare cette activité au fonctionnement d'une fourmilière. « Aucune fourmi n'en connaît le plan dans sa totalité. » Pourtant, elles réussissent à bâtir des nids fort complexes. C'est cette forme de collaboration décentralisée que les chercheurs tentent de reproduire.
Vérifier la théorie par la modélisation numérique et physique
M. Seidl a créé un simulateur – un modèle informatique – qui met l'IA de l'équipe à l'épreuve. Dès qu'il aura surmonté le problème dans un environnement virtuel, il passera aux essais dans le « monde réel », au bassin d'étude des ouvrages de haute mer du CNRC. On y vérifiera la performance des modèles réduits dans des glaces flottantes composées soit de plastique d'une densité identique à celle de la glace, soit de véritable glace de mer, produite en laboratoire.
« Déplacer la glace revêt une grande importance pour le trafic maritime ainsi que pour l'exploitation pétrolière et gazière, 2 industries vitales pour l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador », déclare M. Vardy, rappelant qu'en hiver, un brise-glace escorte habituellement le traversier qui assure la liaison entre le Labrador et Terre-Neuve, dans le détroit de Belle Isle.
D'après le chercheur, dégager les glaces avec un essaim de navires autonomes faciliterait aussi la tâche du brise-glace commandé par un équipage. Ce dernier pourrait percer un passage dans la nappe ou dégager un port entravé par la glace, puis un groupe de navires plus petits mais indépendants, s'assurerait que la glace ne se reforme pas.
Faire du Canada un chef de file dans le domaine
En soutenant ce projet, le CNRC illustre comment on s'efforce de faire du Canada un leader dans un domaine qui prend rapidement de l'expansion : celui des navires de surface maritimes autonomes (NSMA).
« Je trouve formidable de pouvoir travailler sur quelque chose de neuf et de populaire à l'échelon international. Nous pourrions devenir des pionniers dans le développement des NSMA », s'enthousiasme M. Murrant.
« La meilleure façon d'y parvenir, pour le Canada, d'après nous, serait de profiter de la rigueur de son climat », ajoute-t-il en faisant allusion non seulement à la glace, avec laquelle il faut composer, mais aussi à l'immensité de ses côtes et aux difficultés que posent les conditions météorologiques ainsi que l'état de la houle.
« Entreprendre un projet qui n'aboutira pas immédiatement à une solution géniale n'est pas perdre son temps. Pas plus que s'aventurer en territoire inconnu armé d'une idée fantastique et essayer de faire avancer les choses. J'adore m'amuser avec des robots et résoudre des énigmes. Ce qui est précisément la définition de la recherche. Il n'y a pas 2 journées identiques. Nous nous heurtons à un problème et cherchons une solution, ce qui enrichit nos connaissances et pourrait conduire à un monde meilleur dans une vingtaine d'années. »
L'apprentissage par renforcement est une forme d'intelligence artificielle qui s'appuie sur l'expérimentation pour atteindre un but précis. Dans le modèle, un agent est récompensé pour chaque pas qui le rapproche de ce but. Plus il s'en approche, plus la récompense est grande. L'agent apprend à prendre les décisions qui optimiseront la récompense. Petit à petit, il trouve donc des moyens plus efficaces de parvenir au but recherché. Ce type d'IA convient à merveille à la résolution de problèmes bien définis, comme débarrasser un port de la glace qui l'encombre.
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